dimanche 2 mars 2025

Le carnet

 La première phrase était imposée...

Il n’avait jamais cru aux légendes jusqu’à ce qu’il tombe sur ce carnet en plein milieu de nulle part.

Horacio Oliveira venait de reconnaître son propre carnet posé sur un des bancs du parc de Palermo, endroit qu’il traversait pour la première fois. 

Il ignorait qu’il l’avait égaré. La découverte étrange ne le troubla pas.

Lorsqu’il s’en saisit, il constata que le carnet, pourtant refermé vierge de toute trace après sa dernière manipulation, était abondamment complété de textes et de fragments rédigés et prêts à être assemblés, de notes détaillées illustrées de quelques schémas fléchés simples.

Horacio Oliveira ne tressaillit nullement en reconnaissant son écriture. 

Il resta d’un calme imperturbable en feuilletant ce qui était la trame détaillée de la nouvelle dont il avait reçu commande il y a maintenant quinze jours. Le plus gros du travail en semblait achevé. Il lisait et relisait attentivement certains passages du carnet. Littéralement, il les découvrait.  

Horacio avait pris place sur le banc.

Il se revoyait un peu plus tôt dans la journée. Il était sur son lieu de travail, lancé pour son projet dans des recherches qu’il ne savait pas encore infructueuses. Il les avait menées assez tard, dans des salles devenues désertes, tel un voyageur égaré dans les blancs ou dans les marges, insensible au moindre changement dans l’air silencieux de Babel.

 

Il n’était pas exactement perdu, il avait glissé, il s’était peut-être absenté de lui-même, lui qui aimait entendre le silence et, plus que tout, l’écouter.

L’ambiance était étrange. 

Avait-il imaginé qu’en tendant bien l’oreille, il pourrait déceler dans ce frottement de l’air quelques mots assourdis, langage inconnu, forme de magie, conversation incertaine tentant une sortie de la verticalité serrée des pages ?

 Tout à ses pensées, il n’avait sans doute pas discerné les remous étouffés comme des souvenirs lointains, les craquements furtifs d’étagères emplies de sorts et de croyances, ni même les replis discrets de passeurs de musiques et de chants.

 Était-il resté insensible, comme coupé, presque hermétique au frissonnement des pages tournées, au clapotis de couvertures refermées, en cet étrange labyrinthe peuplé de miroirs et de portes secrètes, de pistes ouvertes et fermées…

 Quelque chose aurait-il pris corps et vie dans cette atmosphère où l’air vibrait, empli des révélations poétiques d’esprits bienveillants, de songes qui planent au cœur des forêts d’Afrique, calmes des bruits du passé ?

 

Mais la forte improbabilité de cette situation l’aurait quelque peu ébranlé, au point qu’il aurait fini immanquablement par se dire qu’il avait mal saisi ou bien encore, en une hypothèse hallucinatoire nullement irréaliste, qu’il n’avait pas pu entendre cela ailleurs que dans son propre rêve. 

Et c’est très certainement le moment qu’il aurait choisi pour changer d’histoire.


Horacio Oliveira se leva et empocha son carnet.

Il reprit son chemin.

Il n’avait jamais cru aux légendes et un très léger sourire illuminait ses yeux.