mercredi 29 novembre 2023

samedi 25 novembre 2023

CAFE KAWATO (2 sur 2)

 

Elle veut mettre en pratique l’idée qui lui est venue pour essayer d’effacer à jamais ce moment mortifiant ancré dans sa mémoire.
Elle salue Kazuho et Tomoka en jetant un coup d’œil furtif – mais presque complice - à la femme en blanc, assise, toujours de dos, immobile, imperturbable.
Le lendemain Toshaki arrive à l’heure habituelle et sa table fétiche est libre. Elle accomplit son rituel téléphonique puis sort son livre. Puis elle s’assure une dernière fois de sa botte secrète, sa parade.
A peine a-t-elle lu une phrase que la dame en blanc se lève puis disparaît au fond du Café dans un grincement de porte familier. Comme la veille, Toshaki aperçoit la tasse de café noir encore fumante.
Il est temps.
Elle vient doucement s’asseoir à la place libre sans déranger au passage les trois amis qui dégustent un café, elle pense que ce sont des espagnols.
Elle se penche sur la tasse. Ils n’ont rien remarqué, ils parlent assez vivement.
 
La fumée atteint ses yeux, la jeune femme se fige.
 
Toshaki tourne alors la tête autour d’elle, elle est bien assise dans la salle de cinéma devant cet affreux Godzilla. Tout se déroule à l’identique, la projection, les trucages, les acteurs en costumes ridicules.  
Le mot « Fin » apparaît, Toshaki se rapproche du moment fatidique.
Lorsqu’elle sort de la salle, le gérant l’attend de pied ferme et elle n’en est pas surprise. Il l’interpelle rudement, lui demandant de montrer son ticket.
 
Elle se prête volontiers à la vérification, elle le sort de sa poche et reste interloquée : c’est un petit rectangle de papier blanc.
 
Hélas pour elle, tout se répète, le même enchaînement que la veille.
Elle ne peut rien y faire, elle est punie, encore et toujours, et son père la réprimande en buvant son café bien chaud.
 
Toshaki se lève, elle se rend aux toilettes, mais elle n’y reste pas, elle ouvre la porte et retourne dans la salle.  
 
La dame en blanc a déjà rejoint sa place, un café fumant devant elle.
 
Toshaki ne s’en va pas immédiatement, elle reprend sa place alors que les touristes espagnols sont en train de régler l’addition.
 
Toshaki tourne et retourne la situation dans sa tête, elle ne comprend pas. Hier soir elle avait bricolé puis imprimé un vieux ticket de cinéma, de cette salle de cinéma-là, en pensant donner le change.
Elle a juste oublié que la légende ne ment pas.
Elle a juste oublié qu’on ne peut changer le passé.
Elle a juste oublié qu’on ne peut pas toujours tricher.
 
Elle salue Kazuho et Tomoka et sort du Café sans un regard pour la femme en blanc.
 
Depuis quelques mois, Toshaki vient beaucoup moins souvent au Café Kawato. 
Il se murmure qu’elle revoit régulièrement ses vieux parents avec qui elle était en froid depuis des années.
 
Lorsqu’elle pousse la porte d’entrée, elle vient saluer les patrons, Kazuho et Tomoka, toujours souriants lorsqu’ils la voient entrer, puis elle dit un petit mot aimable à la serveuse, Akemi, toujours fidèle au poste. Toshaki cherche simplement à passer un petit moment avec eux.
 
Elle semble ne pas voir la dame blanche assise au comptoir.
 
Elle commande toujours un thé.    

mardi 21 novembre 2023

CAFE KAWATO (1 sur 2)

 CAFE KAWATO

Pour arriver au Café Kawato, il faut s’engager dans une ruelle si mal éclairée le soir qu’on ne distingue presque pas les autres façades, à demi invisibles, réduites à d’informes masses fantomatiques.
Etrangement la même atmosphère baigne la ruelle dans la journée, comme si la lumière du jour n’était pas la bienvenue.
 
Le Café se trouve dans un quartier d’Osaka qui n’a pas très bonne réputation. Une loupiote jaunâtre et encrassée est fixée au-dessus de la porte d’entrée, elle suffit pourtant pour lire l’enseigne de bois à la peinture défraîchie et pour se dire qu’on est bien arrivé.  
 
En jetant un coup d’œil à l’intérieur, l’exiguïté du lieu surprend. Dans la salle est installé un mobilier gris clair, sobre, composé de trois tables, avec plus loin le comptoir où l’on peut tenir à deux dans le prolongement de la caisse enregistreuse. Juste derrière, il y a un accès étroit à la cuisine et enfin sur le côté droit, au fond, une porte donne sur les toilettes. 

L’ambiance qui s’en dégage a l’air feutrée, confortable, et les lumières tamisées, douces, permettent toutefois d’apercevoir le panneau des consommations qui annonce une sélection de très bons cafés, car ici on mise sur la qualité, ainsi que des gâteaux de riz et des biscuits. A prix modérés.

Qu’importe le moment de la journée où le client poussera la porte, le patron Kazuho et la patronne Tomoka seront là tous deux, se relayant à la caisse et à la préparation des commandes, invariablement vêtus de leur tablier jaune clair et de leur coiffe blanche.
Kazuho est plutôt grand et mince. Contrairement à son épouse, il porte des lunettes, un modèle à la monture d’acier.

Ils ont une employée, Akemi, qui accueille et sert les clients. C’est une jeune femme menue, discrète et efficace. Son tablier est bleu, comme sa coiffe. 

Les habitués sont là plutôt l’après-midi et le soir.   
Car ce midi il y avait un couple d’amoureux, deux citoyens helvétiques de passage, Willi et Ingrid, qui n’ont cessé de discuter tout bas, tendrement, et qui semblent avoir apprécié leurs cafés.
Ils sont restés peu de temps finalement et l’on doute de les revoir un jour.  
Demain, et ça ne manque jamais, d’autres touristes viendront s’installer, peut-être à la même table. 
 
Pratiquement inamovible, occupant tous les jours la même place, une femme en blanc tourne le dos à l’entrée, elle est assise au comptoir. Immobile devant une tasse de café qui fume, elle semble perdue dans ses pensées.

Parmi les habitués, les fidèles, les têtes connues, certains le sont devenus plus récemment. Un peu après 17h00, toute la semaine, immanquablement, c’est l’heure d’Ayaka, une infirmière encore en tenue, qui quitte à peine son service à l’hôpital d’à côté. Elle s’installe sans hésiter à la table du milieu, déjà occupée par un homme corpulent, échevelé, aux yeux brillants, dont la cravate mal repliée dépasse de la poche de son veston.   
Ce n’est pas exactement un rendez-vous secret entre amants.
Elle est en mission. Ayaka vient chercher Hiroto, son mari alcoolique. Elle y parvient en douceur, il ne résiste jamais, cela dure depuis des mois.  Habitude, addiction. 
 
Toshaki, serveuse d’un snack voisin vient tous les jours, cela dépend de ses horaires, soit à 14h30 après le coup de feu, soit à 19h00 avant de prendre son service. Toujours seule.
Elle tapote un peu sur son portable, vite et pas longtemps, elle vient surtout lire et, en général, elle ne reste guère plus d’une demi-heure.
 
Toshaki connaît l’étrange légende qui circule sur le Café Kawato.
Il y est question d’une femme en blanc, d’un café chaud fumant. Il se dit que lorsqu’on va au café, on peut retourner dans le passé. Détail d’importance, on ne peut pas le changer.
 
Et cela la rend pensive, rêveuse.
 
La femme en blanc assise au comptoir se lève, le contourne et se dirige vers les toilettes dont la porte grince affreusement. A sa place on aperçoit maintenant la tasse de café noir encore fumante.
Toshaki n’attendait que ça. Elle s’est enfin décidée. Elle veut savoir.
 
Elle vient doucement s’asseoir à la place libre et se penche sur la tasse. Personne ne semble rien remarquer.
Quand la fumée atteint ses yeux, fugitivement la jeune femme sent qu’elle se fige.
Toshaki tourne la tête autour d’elle, elle est assise au deuxième rang dans la salle d’un vieux cinéma de quartier, spécialisé dans les rétros des années soixante, où l’on passe un film qu’elle a vu enfant. Elle est revenue en arrière de près de trente ans.  
C’est un film qu’elle n’a jamais revu, qu’elle n’a jamais osé revoir car elle a connu une peur affreuse : Godzilla.

Elle assiste en accéléré à la projection, il lui faut peu de temps pour comprendre que les effets spéciaux et les trucages sont grotesques. Risibles.
Elle se sent soulagée et se félicite que cette affaire qui lui tenait à cœur, cette peur enfantine, soit désormais en passe d’être réglée. 

Lorsque Toshaki sort de la salle, à sa grande surprise, le gérant l’attend. Il l’interpelle avec raideur et lui réclame son ticket. Elle n’en a pas, car elle est entrée en se faufilant sans payer.
Elle subit une réprimande ferme et sévère par le patron, les autres spectateurs qui entrent ou sortent détournent le regard.

Quand ses parents viennent la chercher peu après, ils règlent dûment le prix d’entrée et c’est le début d’une longue période de punition pour Toshaki.
A la maison, son père lui fait longuement la leçon, lui dit de quoi elle devra se passer jusqu’à nouvel ordre, il lui répète ce qu’elle sait déjà, en buvant un café bien chaud dont la bonne odeur se répand dans la pièce.
Toshaki se lève pour aller aux toilettes.

Assise sur la cuvette, les coudes sur les cuisses, elle rumine. Rien de cela n’avait disparu complètement dans ses souvenirs, et pour cause, mais elle a enfin compris ce qui s’est passé, le souvenir humiliant n’est plus masqué par la peur panique de l’ombre en carton-pâte de Godzilla.
 
Et même si la légende dit que rien ne peut être changé, Toshaki décide de tenter sa chance une dernière fois, le lendemain. 

...

A SUIVRE...

vendredi 17 novembre 2023

HOP !

 


Une cape en guise d’aéroplane

Gars prêt-à-tout toujours au top

Tu t’es rêvé un temps super-héros anglomane

 

Mais tu restes affalé là non-stop

Sur ton pieu, t’as même pas d’ottomane

Avec ton écran, sans toucher une clope

T'es carrément toxicomane

Mais si t’as viré un peu misanthrope

Tu ne seras jamais pyromane

Et quand ta mère te chope

Elle te secoue, limite tu n’es qu’un âne

Elle a trop flashé sur la culture pop

Et te rêve comme ton frère, ce mythomane

Qui secourt la planète en Cinémascope

 

Sans vouloir virer mégalomane  

Un sursaut te prend allez hop

Sauve ta journée, même en bécane

Histoire d’éviter le flop



lundi 13 novembre 2023

THEMATIQUE

 Une thématique se cache dans ces micronouvelles. Habile et sagace lecteur, habile et fine lectrice également sagace, sauras-tu la retrouver ? 










 

jeudi 9 novembre 2023

Rapport

 Numéro 1 dans sa série LES DOSSIERS DE L'ETRANGE


 

Nous sommes aujourd’hui le 1er octobre 2038, date à laquelle parait le rapport tant attendu du Centre International De Résolution de l’Etrange qui était en charge d’étudier cette photographie (truquage ou pas ?) depuis six mois jour pour jour, suite à son apparition inopinée sur les réseaux.

Organisme indépendant en place depuis quatre ans, le CIDRE est installé à Valladolid. Il publie ses rapports sans intermédiaire et peut être saisi par tout citoyen de n’importe quel pays.

Il regroupe un collège de scientifiques et de chercheurs à la composition variable selon les domaines d’étude. L’identité de ces experts est tenue secrète.

Cette approche est source de rumeurs diverses, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes entourant l’existence et l’activité du CIDRE. En effet, si l’on en juge par les rapports qui ont été remis, l’organisme a consacré jusqu’ici une grande partie de son temps aux fausses informations.

Ce n’est presque rien à côté des méthodes d’investigation ultra-modernes, souvent inédites et là encore soigneusement confidentielles qui sont utilisées.

Quelques rares tentatives d’information dans la presse spécialisée ont fait état de techniques sujettes à caution, comme l’hypnose, la drogue, le clonage, le voyage dans le temps, la téléportation dématérialisée, au moyen de machines technologiquement avancées dépassant totalement l’imagination du plus futuriste des auteurs de science-fiction.

 

En ce 1er octobre, que faut-il retenir à la lecture des conclusions du CIDRE ?

L’étude du cliché n’a pas fait apparaître de manipulation de l’image, les deux experts (un certain Nicéphore N. et un dénommé Louis D.) sont formels.

Le Centre a ensuite envoyé ses équipes* rencontrer des experts reconnus pour recueillir leur témoignage, en usant donc de démarches et de moyens peu conventionnels.

Interrogé dans la grande salle de son musée à Bruxelles, René Magritte a confirmé que « ce n’est pas une pomme ». 

Blanche-Neige, pourtant totalement remise, a révélé au grand étonnement des investigateurs qu’elle ne se souvenait de rien, signe d’un terrible traumatisme qui ne s’effacera sans doute jamais.

Isaac Newton a longuement observé la partie gauche de la photo, avouant son ignorance et se bornant à reconnaitre, à droite, un projectile qu’il n’a toutefois pas nommé et identifié comme celui qui lui a donné autant de gravité, celle qui lui fait se masser constamment le dessus de la tête, sans doute un tic après tant d’années.

Guillaume Tell n’a pas souhaité répondre aux questions et il est parti enguirlander son fils, en jurant qu’il avait intérêt à se tenir à carreau.

Jacques Chirac n’était pas là, comme souvent, depuis euh …et même avant.

Ludwig van Beethoven a essentiellement remercié de lui avoir remis en mémoire une de ces œuvres, après deux présentations de la photo. Il s’est mis à la jouer immédiatement.

Adam et Eve ont cru à un jeu du type (avant/après) et non pas fait d’erreur pour désigner le bon fruit défendu. L’expérience, que voulez-vous. Pour le reste, ils n’ont pas tranché et ont même coupé court, ne souhaitant pas remuer les mauvais moments, les souvenirs cuisants.

Par ailleurs, le Centre jugea opportun pour son groupe d’enquêteurs d’envoyer deux sœurs à Lamotte-Beuvron pour en rencontrer deux autres, les Tatin. La vue de l’étrange photographie les a quelque peu retournées. Ce qui a bien failli remettre les compteurs à zéro pour leur célèbre recette. Les visiteuses ont notifié que si les sœurs ne se sont pas évanouies, elles ont été troublées. Stéphanie est allée chercher de la pâte à la cuisine et en a tartiné la photo qu’elle a voulu enfourner.  Mais les enquêtrices ont réussi à prendre la fuite avant.

Hélène de Troie, passablement troublée mais flattée, a cru identifier la pomme de discorde mais n’a rien voulu ajouter avant qu’on lui ramène Pâris car (sic) Pâris sera toujours Pâris ! Les chercheurs cherchent toujours.  

 

C’est là l’essentiel.

On peut donc avancer que les réserves ne seront vraisemblablement pas levées.

Une grande perplexité continuera à alimenter la controverse. 

Le citoyen Yvonnick Strinkerez, originaire de Guenrouet (France), producteur pour Kérisac en sera donc pour ses frais quant à ses inquiétudes pour ses matières premières.

 





* Les Brigades du Cidre

mercredi 1 novembre 2023

NOTES

 


(c) Robert Doisneau 


Nous sommes vraisemblablement dans les années 50.
Un mot nous attire, nous happe presque, celui de l’enseigne du magasin : Dinand
Il a un parfum de Bretagne mais rien ne dit que nous y sommes, et d’ailleurs nous n’y sommes pas.
« Dinan » en Bretagne ne s’écrit pas avec un « d » final.
On penchera plutôt pour le nom de la famille qui a lancé cet établissement.
Les Dinand sont certainement devenus des notables, au fil des décennies, leur commerce ancré dans la tradition familiale étant honorablement connu en ville pour sa qualité et son sérieux.

Cela semble être un magasin de vêtements, on voit des robes, des pantalons qui sont accrochés dehors et l’on distingue un manteau dans la vitrine.
Un peu du vent du soir pourrait les faire flotter comme d’improbables fantômes crépusculaires.

Les lettres DINAND s’éclairent-elles à la nuit tombée ?
Les guirlandes suggèrent une période de fête, sans que l’on sache laquelle.
Serait-ce une quinzaine commerciale, quand on ne disait pas encore soldes ?
Mais ce n’est pas Noël, il y a une « ambiance météorologique » qui ne fait pas penser à l’hiver. 
A moins que nous ne soyons en présence d’une prédilection des propriétaires (ou du gérant) pour ce type de décoration, ce qui serait surprenant dans cet univers extrêmement balisé.
 
Si l’on en observe le cadre, le vélo garé au bord du trottoir est un modèle pour homme.
Doté d’un porte bagages à l’arrière, il est dépourvu de sacoches.
Il peut très bien appartenir à un client du magasin Dinand qui a trouvé pratique de s’y garer tout près.
Il est toutefois exagéré, vraiment, de penser que le cycliste, peut-être victime d’un incident mécanique, y est entré pour acheter des rustines.
 
Quand on continue plus loin sur le trottoir, en dépassant la maison Dinand, à l’angle de la rue adjacente, on se demande -car on ne le distingue pas- ce qui est placardé dans le grand cadre vitré, bordé semble-t-il de bois.
Est-ce un panneau pour la publicité ou bien pour les informations municipales - mais dans ce cas est-il vraiment bien placé ? Les petits génies de la bureaucratie, 2e étage porte B, auraient frappé ? – à moins qu’il ne s’agisse d’un élément de vitrine du magasin qui fait le coin et dont on devine plus loin sur la façade le début du nom : MA.
 
Evidemment ce pourrait être le début de « Magasin », ou « Marché », auquel on adjoindrait un adjectif (par exemple : général) mais on optera une fois encore pour un nom de famille, celui du propriétaire ou du fondateur. Un nom qui ne renseigne certes pas sur son activité -comme Dinand et les vêtements- ce qui permet et laisse envisager les hypothèses les plus folles.
Toutes choses qui poussent à la réflexion certes, qui font s’interroger, mais uniquement si l’on n’habite pas le quartier.
En tant que passant occasionnel, et pas pressé, on pourrait alors pousser l’analogie géographique avec Dinand, et imaginer un nom, disons la famille « Mayennes », nous sommes un peu plus à l’est cette fois, pour respecter l’orientation. Faisons également confiance aux 
«Mayennes » pour avoir pignon sur rue depuis longtemps. 
Par contre, on ne saura pas davantage si les lettres s’allument, ou même clignotent. 
Notons que sous les lettres MA, on observe un cadre, très semblable au supposé panneau municipal bureaucratique, qui ressemble fort à une vitrine qui n’est pas suffisamment visible malheureusement pour nous en dire l’activité commerciale.
Dommage !
Soupir...   
 
La rue est pavée, aucune marque de signalisation routière n’est visible.
La luminosité laisse penser qu’il y a un peu de soleil, sans doute pas grand soleil car ce n’est pas parfaitement franc, mais c’est peut-être la qualité de la photo.
Il n’a sans doute pas plu, les pavés ne brillent pas.
On ne se lancera donc dans aucune digression sur le « dessous », que ce soit les égouts, les catacombes ou la plage et on adoptera la même ligne de conduite pour «le dessus», les barricades, les émeutes, les soulèvements.
 
Et puis elle, et puis eux.
Elle se tient juste à côté d’un des pieds métalliques de la structure installée pour déployer une toile ou un store sur le trottoir. Ces pieds ressemblent beaucoup à ceux des échafaudages.
Serait-ce l’abri d’un commerçant ambulant ? Ou l’extension en terrasse d’une boutique que nous ne voyons pas ? Peut-être, mais se pose, après la possibilité de la fête, l’hypothèse d’un jour de marché.   
Une petite fille tient son chien dans les bras et l’on ne sait pas exactement ce qu’elle est train de faire.
Son chien a une bonne bouille, il s’appelle sûrement Titou.
Elle, c’est Marie.
Si le son était branché, entendrait-on quelques soupirs intermittents ? Possible.
Ce serait certainement le chien. Un mélange d’aise et d’impatience.
Mais cela lui va à Titou, il y a de l’affection, c’est réciproque.
Et il attend, en habitué obligé, ce que révèle apparemment cette façon de la fillette de le tenir au bras.
Il est envisageable que Marie ne veuille pas prendre le risque de le perdre, qu’il file car il ne sait peut-être pas attendre, couché aux pieds.
Titou a un collier, Marie a peut-être oublié sa laisse, s’il en a une. Elle aurait pu l’attacher au pied juste à côté.     
Alors qu’elle fourrage dans une valise pleine de chiffons, de chutes de tissus, de vieux draps peut-être, a-t-elle demandé au commerçant si elle pouvait regarder et se servir ?
On ne peut cependant éliminer l’idée que ce sont ses parents qui tiennent cet étal. Et qu’en ce jour où il n’y a pas école, elle a le droit de choisir un bout de tissu qui lui fera plaisir.
Que cherche-t-elle ?
Le morceau à la bonne taille, le plus doux et le plus confortable qui soit, pour Titou, pour mettre au sol dans le coin où il dort ?
A moins qu’elle soit en train de prélever une chute de tissu qui lui servira à jouer avec Titou, pour l’habiller et le déguiser comme font les enfants parfois, lorsqu’ils jouent avec leur chien comme ils le feraient avec une poupée.
Il apparaît par contre fortement improbable de dire qu’elle ne farfouille pas et qu’en fin de compte elle ne cherche qu’à installer au mieux dans la valise une espèce de niche, un nid douillet pour installer et faire dormir Titou. 
Quelle que soit sa quête, toujours est-il qu’au fur et à mesure, inévitablement, ça sort de partout, c’est déplié, ça ne rentre plus, le désordre s’installe, les bouts, les morceaux, les chutes se mélangent, les draps débordent. Qui rangera ? 

Il semble bien que la suite de l’histoire leur appartient, comme il semble bien que nous resterons sans nouvelles du propriétaire du vélo.