vendredi 29 mars 2024

Le compte est bon

 


Là vous voyez une photo de moi dans ma septième vie, je fais touriste.

Je ne peux pas trop vous renseigner pour la suite, parce que j’ai entendu dire – des mauvaises langues, sans doute, des jaloux sûrement- que nous aurions sept ou neuf vies.
Parce que ça peut tout changer. 
Alors, j’ai encore de la marge ou pas ?

De chat en vie numéro 1, je suis passé brosse à dents dans ma vie numéro 2, ensuite j’ai fait panneau de stationnement dans une impasse, j’ai été chaussette solitaire de machine à laver en vie 4, juste avant une longue période où j’ai été la Joconde. 
Ma vie 6, je l’ai utilisée pour être bandelette de Toutankhamon, avant de m’évader pour être touriste.   

Et là, juste là, ça fait 7, et je m’inquiète un peu. 

Je me suis donc documenté. Ce serait une histoire de cultures.
 
J’ai des correspondants en Italie, en Grèce, au Brésil et dans certaines régions d'Espagne, pour eux c’est sept. 
Plus inquiétant, des potes en Turquie et dans les pays du Moyen-Orient m’ont dit six. Ils essaient de quitter le pays.
 
Un ami espion qui en est à sa troisième vie et sa huitième trahison m’a répondu que trois hypothèses expliqueraient « le chat à neuf vies » : soit c’est une confusion avec le chat à neuf queues, fouet de neuf cordes à nœuds, soit le chiffre neuf et le chat étaient sacrés pour les Égyptiens et ils leur ont prêté neuf vies, enfin au XIXe siècle, un vétérinaire anglais a calculé qu’un chat pouvait survivre à huit blessures graves.
Je dois dire que j’ai beaucoup plus apprécié ce discours-là.
  
Il est donc fort possible que je rejoigne la perfide Albion sans trop attendre, même s’il y pleut des chiens et des …chats !
 

lundi 25 mars 2024

Six fragments

Lors de l'atelier que j'ai mené en février dernier, j'ai proposé à mes camarades une collecte de mots et expressions à piocher dans divers recueils de poèmes et à utiliser ensuite librement pour un texte individuel. 

Après coup, la photo de leur cueillette m'a donné envie et idée de m'y coller aussi ! 

Même si je les ai ordonnés, les six fragments ci-dessous sont à priori indépendants, comme six plongées distinctes dans la mine de mots !  




L’alcool
Fixe l’illusion
Absolue cicatrice
Fureur
 
Brume
Chevaux de bois
Miroir brisé
La partie de ton âme

L’horloge arrêtée
Au soleil vague
Ma main
Debout
 
Ténèbres
L’océan bouge
Cavalier
Dans la marge

Ensemble
Dans l’éloignement
La lune
Fixe
 
I know this place
Arc en ciel
Lumière beauté
Un ruban dénoué
 


jeudi 21 mars 2024

Prénoms

 


Depuis plusieurs mois, ils pistaient les étrangers pauvres pour dérober des centimes d’euros, du sucre, des brosses à dents, des chiffons dans leurs bicoques des quartiers pourris déshérités de la Côte. 

Laissant des messages après chaque méfait, ils signaient assez étrangement "Robins Des Bois" ce qui n’avait pas manqué de provoquer l’incompréhension et de susciter une relative curiosité médiatique.

L’enquête de police -discrète- a permis de remonter le fil et d’identifier finalement trois suspects âgés de 24 à 29 ans, tous basés dans la région.

Ils sont déjà connus pour de menues affaires de vols de bonbons, de chapardages divers, pour lesquels ils ont été privés de dessert ou bien obtenu le sursis et des travaux d’intérêt général.

A la surprise générale les trois complices appartiennent à la haute bourgeoisie locale. 

Ils ont été mis en examen et écroués après une série de dix-sept cambriolages dont le butin n’a pas été retrouvé, ce qui a mis les enquêteurs sur la piste d’éventuels trafics. 

Les voleurs ont même arraché et emporté un étendoir à linge pour le fracturer sans la combinaison, puis ramasser et plier le linge à l’abri. 

Aziz Berger de Lapeyrière*, Kamel Billette de Vauplane* et Rachid Herbigny d’Entrevaux* ont reconnu les faits et ont simplement déclaré qu’ils luttaient contre l’ennui, qu'il s'étaient lassés de l'évasion fiscale et, pour expliquer leur signature, qu’ils détestaient les clichés comme « on ne prête qu’aux riches » .

 

*Les prénoms ont été changés

 

dimanche 17 mars 2024

Amis

 Je ne lâche pas mes mots

Mes amis sûrs de la feuille   

Pour eux je suis là

Ils sont là pour moi

Aidés des virgules

Je sens qu’ils se pointent

Au pied de la lettre

Ça bout du stylo

Sur la page qui rit

Ça bout du clavier

Signes minuscules

Tout doit être au point

Page blanche et sang d’encre

Qu’ils aient voix au chapitre

Qu’une phrase pleure

Ils déboulent sans frapper

Quittent les parenthèses

Et donnent des nouvelles

Retour du Lexique

Ou bien déjà là

Tombés sous la main

Passés par la tête

Page d’encre, sang blanc

Ils ont là pour moi

Je suis là pour eux

Je ne lâche pas 
Mes mots

mercredi 13 mars 2024

Oulipien - 2024

Il y a aujourd'hui un peu plus de dix ans que je fréquente le site Zazipo 

Chaque année, je m'empresse d'aller voir qui est l'Oulipien de l'année. 

Un auteur dont le texte proposé va se faire essorer par les textes dérivés des contributeurs amateurs de contraintes ludiques plus ou moins perchées, claires ou absconses. 

Il y a là de l'hyper-technique qui me réfrigère beaucoup mais aussi quelques pépites qui valent le détour.

J'ai fait l'impasse pendant quatre ans, de 2015 à 2018, sans doute peu inspiré et peu disponible, avant d'y revenir assez intensivement de 2019 à 2022. 

Il apparaît que j'entame une nouvelle période de "creux" depuis 2023 (un texte envoyé) et cela me semble bien parti pour se poursuivre en 2024 (deux textes). 

Je mets en lecture mon second texte qui utilise une contrainte appelée "99 notes préparatoires" : 

La forme dite des « 99 notes préparatoires » 
se situe entre le poème et l’essai, 
s’emparant d’un sujet donné et tentant d’en épuiser 
les potentialités par un jeu polyphonique.
Elle n’est pas « contrainte» à proprement parler 
mais a beaucoup à voir avec 
la potentialité. L’obligation d’écrire 
quatre-vingt-dix-neuf phrases sur un thème 
précis la rapproche ainsi d’une tentative d’épuisement. 
Il faut ensuite trouver une 
façon d’ordonner (ou désordonner) ses notes.

 J'aime beaucoup cette forme, je ne sais pas exactement si je l'ai totalement comprise, j'en suis à ma troisième tentative, mais ce que j'en fais correspond à ce que j'en interprète. J'en apprécie la liberté et la légèreté dans le cheminement et, à priori, son immédiate lisibilité, sans clé. 

Voici le "sujet" de départ, suivi de mon texte. 




99 notes préparatoires sur la prise de rue

 

 

 

1.      Prenez une rue est une belle invitation.

2.   Selon l’humeur et le moment, une bonne idée aussi.

3.    Elle ne coûte rien, sans être gratuite.

4.    Ce que contredit légèrement le premier pas.

5.    Qui n’est peut-être pas celui qui vous y conduira.

6.   Certains pourront y déceler une injonction fort péremptoire.

7.    Prendre une rue n’a ici rien de martial.

8.   Ce n’est pas non plus la conquête de l’espace.

9.   Pas même si l’on emprunte la rue une nuit de pleine lune.

10.  Emprunter, tiens, me fait penser que je n’ai jamais rendu une rue que j’avais prise.

11.   La prochaine fois, essayer.

12.  (Je me connais, mieux vaut le noter.)

13.   Alors, poursuivons : prendre une rue au hasard.

14.  Sans remettre à plus tard.

15.  S’en remettre au hasard.

16.  Ce sera près de chez soi, en sortant.

17.  Peut-on prendre la rue où l’on est déjà, celle où l’on vit ?

18.  Peut-être tenons-nous là une règle à préciser.

19.  Evitons pour le moment la prise de bec.

20. Et soit, mettons qu’il y ait une rue, juste là.

21.  C’est sûr, je la vois.

22.  On la prend.

23.  Avec l’idée que le hasard fait bien les choses.

24.  Ce qui est quand même une drôle d’idée.

25.  Pas tant que ça : il y a des idées qu’on donne au hasard.

26. Dans le cas qui nous occupe, l’idée est qu’on n’a pas de but précis.

27.  Du moins je l’ai compris ainsi.

28. Il n’est pas ici question de liste de courses, d’enveloppe à poster.

29.  Aucune démarche administrative bureaucratique et urgente.

30.  Ce type de tâches si balisées et tellement épanouissantes. 

31.   Ici, le hasard monte à bord avec l’impromptu, rien n’était prévu.

32.  J’y pense soudain, on peut même imaginer qu’en ne partant pas de chez soi, c’est tout-à-fait possible.

33.  Ce serait peut-être même plus « facilement hasardeux ».

34.  J’allais en rajouter sur les règles à préciser, j’y renonce.

35.  Prendre la première rue, donc savoir compter.

36.  Avoir pris le bon repère depuis le début, y avoir pensé.

37.  Ne pas faire d’impasse. 

38.  Se tromper, prendre la deuxième, ça pourrait mal se passer.

39.  Fichue « l’aventure au coin de la rue ».

40.  Tiens c’est aussi le titre d’un vieux film où le hasard a fort peu de place.

41.  Alors pas d’erreur sinon le doigt dans l’œil tourne au cul de sac.  

42.  Mort du hasard, finalement.

43.  Mieux vaut s’engager dans la première, un hasard plus sûr.

44.  Ce sera paraît-il la bonne, vous voyez j’ai fini par comprendre.

45.  La plus belle est la rue qu’on fredonne.

46.  Cela n’a rien à voir avec l’art.

47.  Quand la bonne fredonne, en effet.

48. Tiens, il pleut ?

49.  Je me demande ce qu’en diraient les poètes disparus.

50.  Longtemps, longtemps, après.

51.  Prendre la première au hasard, que se passe-t-il si ce n’est pas une rue ?

52.  Il faudrait une fois encore préciser les règles, les tolérances.

53.  Tout le monde n’a pas de rue sous la main.

54.  Même les manchots, ça va de soi.

55.  Honnêtement, cette « rue » fait de l’ombre à ses consœurs.

56.  Allées, promenades, ruelles sont délaissées.

57.  Comme si on les laissait en plan.

58. Les avenues se sentent nulles et non avenues.

59.  Platanes avez-vous donc une âme ?

60. Ceux des grands boulevards ont tant de choses à voir.

61.  A Paris, quel que soit votre nid, 

62. Toutes les rues riment ainsi.

63.  Cela me remet en tête une chanson.

64.  Un toulousain a chanté « Rimes »

65.  Il y parlait de bateaux-mouches et des ponts de Paris.

66. Rimes tristes et rimes riches.

67.  Il avait sûrement pris une rue au hasard.

68. Ses refrains sont-ils chantés dans les rues ?

69. Les chanteurs de rues ont dû s’en charger.

70.  Sans omettre les couplets.

71.  « Au refrain » est une notation sur les partitions.

72.  Je pense que les chanteurs de rues en consultent de temps à autre.

73.  Toutes les rues disent merci.

74.  Je le savais, j’en étais sûr, je l’aurais parié qu’elles sont polies.

75.  Et c’est rassurant de savoir que les rues parlent.

76.  Nous parlent.

77.  Avec leurs plaques disposées à intervalles réguliers.

78. Ce sont un peu leurs badges, non ?

79.  Elles se présentent, elles nous donnent leur nom.

80. Quelquefois elles nous disent quelque chose.

81.  On ne sait plus, est-on déjà passé là ?

82. Quand elles disent merci, les rues polies,

83.  Merci d’avoir chanté,

84. On ne saura pas si c’était juste ou faux,

85. Juste ce qu’il faut.

86. Faut ce qu’il faut.

87. C’est la vie.

88. C’est la ville.

89. Les rues ne disent pas tout que voulez-vous.

90. C’est déjà bien d’avoir chanté.

91.  Elles ne vous diront rien de la ville disparue.

92.  Pas celle du Toulousain.

93.  Y avait une ville, et y a plus rien.

94.  Non, une autre.

95.  A vous de l’imaginer.

96. De la rebâtir.

97.  De la faire surgir.

98. De la retrouver dans les notes que vous avez chantées.

99.  Quand vous êtes passé au hasard.