L'invitation commençait par une écoute ici, se poursuivait par écrire à partir du premier vers de Gérard de Nerval :
"De toutes les belles choses qui nous manquent
en hiver, qu'aimez-vous mieux ?"
de façon classique ou iconoclaste, ou ... à votre guise.
On pouvait aussi écrire autour du poème (ou du texte, chanson, air de musique, tableau...)qui a marqué votre enfance, à l'école le plus souvent.
J'en ai tiré ceci, en mêlant les deux propositions qui au départ étaient plutôt séparées mais que la poésie a reliées dans mon idée et dans mon refus de choisir.
LETTRE OUVERTE
De toutes les belles choses qui nous manquent en hiver, qu’aimez-vous mieux ?
Cher Gérard, bonjour,
Je te remercie infiniment pour ta
question, je souhaite seulement préciser, et on n’en parlera plus, que c’est vraiment
injuste que tu aies déjà piqué les papillons.
Sache que j’ai compris que je ne dois pas
me laisser enfermer dans la stricte opposition hiver-été et oublier injustement
le printemps et l’automne.
Imagine d’ailleurs, mon petit Gérard, que
l’on réponde à ta question pour chaque saison, y aurait-il des recoupements,
sachant que les trois manquantes seront citées trois fois ?
Par hypothèse, peut-être que la nostalgie
de l’été n’est-elle pas la même au printemps qu’en hiver, qu’elle ne s’attache
pas aux mêmes éléments.
Pour ta gouverne, j’ajoute y voir un
possible avantage, celui de dénicher des idées que tu aurais laissées, tout
occupé que tu étais à observer les papillons aux beaux jours et à t’en souvenir
le reste de l’année.
Fort bien, cela étant dit, je ne peux
guère plus reculer, j’ai assez joué la montre et je pense que la boucle
nervalienne est bouclée.
Il est temps de revenir à ta question, mon
cher Gérard, je la rappelle ici :
« De toutes les belles choses qui
nous manquent en hiver, qu’aimez-vous mieux ? »
Puisque tu as sans doute remarqué qu’on se
dit tout désormais, je vais en un ultime aveu te faire remarquer que les
« choses », c’est un terme un peu vague, non ?
Mais n’en déduis pas que j’essaie de me
défiler, d’ailleurs je te donne à lire mes réponses sans plus tarder.
Les belles choses sont pour moi des
moments précis qui me reviennent à l’esprit, des sensations qui me disent
-fort- ce n’est pas l’hiver… C’est…
l’épaisseur de l’air dans sa chaleur,
quand on troque le froid pour la fraîcheur…Au jardin sous le pommier, le livre
lu sur le banc, et une légère brise qui préserve de la torpeur …
…Très tôt le matin, la tasse de café fume
sur la table dans le jardin … J’écoute les oiseaux et l’air ambiant, matins
bleus, ciel calme…C’est le fil que déroule notre planète, laissant les journées
s’étirer tant, qu’elles semblent ne pas vouloir se coucher…C’est se laisser
cueillir par un champ rougi de coquelicots, dont les fleurs mesurent de 7 à 10
cm de diamètre…Et la couleur verte regagne pied à pied, ce qu’elle a pu céder,
au gris au noir au brun… Ce sont les volets tirés qui tiennent la chaleur à distance,
peut-être qu’un bref orage en plein champ va colorer le ciel de vapeur et de
bruit…C’est tout ce qu’on peut faire dehors, avons-nous failli l’oublier,
serrés dans l’hiver, engoncés ? …Cette réverbération sur les routes et chemins,
poussière lumière, je dépasse les blés sur mon vélo, je pense déjà à ce grand
verre d’eau limpide qui m’attend au retour… Plaisir renouvelé, savouré, et la
table du jardin, le point de repère, le confluent… Tout ce qu’on peut faire
dehors, s’asseoir dans l’herbe, seul ou bien accompagné, repenser à l’herbe
bleue et plus si affinités… Et à la nuit tombante, comme un signal inversé, en
loups-garous de l’été, se retrouver dehors, y rester… Regarder les étoiles
filer … Ou alors s’installer, le concert ou la pièce va commencer, peut-être
quelques textes lus sur les couleurs de la forêt…Mettront le cap sur l’automne
érable ou sous le chêne mémoire…
… Cela fait penser, mon cher Gérard…
A la rentrée des classes, aux
retrouvailles… Ce n’est pas chose aisée d’isoler un poème de l’enfance, de
l’école. C’est choisir, et c’est aussi ne pas renoncer à se souvenir … Rares me
semble-t-il sont les moments de satisfaction – au moins conscients- que j’ai pu
éprouver enfant (élève) dans la rencontre avec le poème…Et je ne suis pas
surpris que me reviennent
plus ou moins vifs des sentiments
mitigés…Où l’ennui joue le rôle principal, tandis que le plaisir est
régulièrement absent... Il y avait de quoi : appelé récitation à l’école,
c’était surtout un exercice, une leçon, un devoir. Un pensum… Bref, de quoi
s’emmerder… Pourtant, je me suis extirpé de cette brume persistante… Je me suis
replongé à l’école…J’ai bêché, retourné, ameubli… Et, enfin, mis au jour ce
« quelque chose », latent…Une trace, une image… Surgirent ainsi les
deux derniers vers qui précédent le quatrain final…De ce poème :
La
croisée est ouverte ; il pleut
Comme minutieusement,
A petit bruit et peu à peu,
Sur le jardin frais et dormant.
Feuille
à feuille, la pluie éveille
L’arbre poudreux qu’elle verdit ;
Au mur, on dirait que la treille
S’étire d’un geste engourdi.
L’herbe
frémit, le gravier tiède
Crépite et l’on croirait là-bas
Entendre sur le sable et l’herbe
Colle d’imperceptibles pas.
Le
jardin chuchote et tressaille,
Furtif et confidentiel ;
L’averse semble maille à maille
Tisser la terre avec le ciel.
Il
pleut, et, les yeux clos, j’écoute,
De toute sa pluie à la fois,
Le jardin mouillé qui s’égoutte
Dans l’ombre que j’ai faite en moi.
Henri
de Regnier, le jardin mouillé
Inutile de préciser, cher Gérard, et
pourtant je le fais, qu’une recherche plus tard, j’avais remis la main sur le
texte, complété mon souvenir... Image marquante, l’averse tisse la terre avec
le ciel… Une petite confusion en passant avec Emile Verhaeren (ça se ressemble
hein ?), m’a retardé sur la route du poème… Avec le recul, bien des années
plus tard, il y a tous ces mots qui sonnent… Finalement, n’aurais-je pas
retrouvé ici, rassemblés, ces mots que je goûte tant, que je fréquente tels des
amis sûrs ? Frémir, crépiter, imperceptible, chuchoter, tressaillir,
furtif, … Insigne ambiance emplie de sensations, de craquements… Et
d’incertitude...
Une énième relecture accomplie, comme une révélation… Est-ce vraiment l’automne en ce jardin mouillé ? …
Il est un air de Vivaldi pour qui je
donnerais …
Avec mes
respectueuses salutations, mon très cher ami,
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