mardi 21 janvier 2025

Lettre ouverte

L'invitation commençait par une écoute ici, se poursuivait par écrire à partir du premier vers de Gérard de Nerval 

"De toutes les belles choses qui nous manquent 
en hiver, qu'aimez-vous mieux ?

de façon classique ou iconoclaste, ou ... à votre guise. 

On pouvait aussi écrire autour du poème (ou du texte, chanson, air de musique, tableau...)qui a marqué votre enfance, à l'école le plus souvent. 

J'en ai tiré ceci, en mêlant les deux propositions qui au départ étaient plutôt séparées mais que la poésie a reliées dans mon idée et dans mon refus de choisir. 



LETTRE OUVERTE

De toutes les belles choses qui nous manquent en hiver, qu’aimez-vous mieux ?

 

Cher Gérard, bonjour,

 

Je te remercie infiniment pour ta question, je souhaite seulement préciser, et on n’en parlera plus, que c’est vraiment injuste que tu aies déjà piqué les papillons.

Sache que j’ai compris que je ne dois pas me laisser enfermer dans la stricte opposition hiver-été et oublier injustement le printemps et l’automne.

Imagine d’ailleurs, mon petit Gérard, que l’on réponde à ta question pour chaque saison, y aurait-il des recoupements, sachant que les trois manquantes seront citées trois fois ?

Par hypothèse, peut-être que la nostalgie de l’été n’est-elle pas la même au printemps qu’en hiver, qu’elle ne s’attache pas aux mêmes éléments.

Pour ta gouverne, j’ajoute y voir un possible avantage, celui de dénicher des idées que tu aurais laissées, tout occupé que tu étais à observer les papillons aux beaux jours et à t’en souvenir le reste de l’année.

Fort bien, cela étant dit, je ne peux guère plus reculer, j’ai assez joué la montre et je pense que la boucle nervalienne est bouclée.

 

Il est temps de revenir à ta question, mon cher Gérard, je la rappelle ici :

« De toutes les belles choses qui nous manquent en hiver, qu’aimez-vous mieux ? »

Puisque tu as sans doute remarqué qu’on se dit tout désormais, je vais en un ultime aveu te faire remarquer que les « choses », c’est un terme un peu vague, non ?

Mais n’en déduis pas que j’essaie de me défiler, d’ailleurs je te donne à lire mes réponses sans plus tarder.

 

Les belles choses sont pour moi des moments précis qui me reviennent à l’esprit, des sensations qui me disent -fort- ce n’est pas l’hiver… C’est…

l’épaisseur de l’air dans sa chaleur, quand on troque le froid pour la fraîcheur…Au jardin sous le pommier, le livre lu sur le banc, et une légère brise qui préserve de la torpeur …

…Très tôt le matin, la tasse de café fume sur la table dans le jardin … J’écoute les oiseaux et l’air ambiant, matins bleus, ciel calme…C’est le fil que déroule notre planète, laissant les journées s’étirer tant, qu’elles semblent ne pas vouloir se coucher…C’est se laisser cueillir par un champ rougi de coquelicots, dont les fleurs mesurent de 7 à 10 cm de diamètre…Et la couleur verte regagne pied à pied, ce qu’elle a pu céder, au gris au noir au brun… Ce sont les volets tirés qui tiennent la chaleur à distance, peut-être qu’un bref orage en plein champ va colorer le ciel de vapeur et de bruit…C’est tout ce qu’on peut faire dehors, avons-nous failli l’oublier, serrés dans l’hiver, engoncés ? …Cette réverbération sur les routes et chemins, poussière lumière, je dépasse les blés sur mon vélo, je pense déjà à ce grand verre d’eau limpide qui m’attend au retour… Plaisir renouvelé, savouré, et la table du jardin, le point de repère, le confluent… Tout ce qu’on peut faire dehors, s’asseoir dans l’herbe, seul ou bien accompagné, repenser à l’herbe bleue et plus si affinités… Et à la nuit tombante, comme un signal inversé, en loups-garous de l’été, se retrouver dehors, y rester… Regarder les étoiles filer … Ou alors s’installer, le concert ou la pièce va commencer, peut-être quelques textes lus sur les couleurs de la forêt…Mettront le cap sur l’automne érable ou sous le chêne mémoire… 

… Cela fait penser, mon cher Gérard…

A la rentrée des classes, aux retrouvailles… Ce n’est pas chose aisée d’isoler un poème de l’enfance, de l’école. C’est choisir, et c’est aussi ne pas renoncer à se souvenir … Rares me semble-t-il sont les moments de satisfaction – au moins conscients- que j’ai pu éprouver enfant (élève) dans la rencontre avec le poème…Et je ne suis pas surpris que me reviennent

plus ou moins vifs des sentiments mitigés…Où l’ennui joue le rôle principal, tandis que le plaisir est régulièrement absent... Il y avait de quoi : appelé récitation à l’école, c’était surtout un exercice, une leçon, un devoir. Un pensum… Bref, de quoi s’emmerder… Pourtant, je me suis extirpé de cette brume persistante… Je me suis replongé à l’école…J’ai bêché, retourné, ameubli… Et, enfin, mis au jour ce « quelque chose », latent…Une trace, une image… Surgirent ainsi les deux derniers vers qui précédent le quatrain final…De ce poème :

 

La croisée est ouverte ; il pleut
Comme minutieusement,
A petit bruit et peu à peu,
Sur le jardin frais et dormant.

Feuille à feuille, la pluie éveille
L’arbre poudreux qu’elle verdit ;
Au mur, on dirait que la treille
S’étire d’un geste engourdi.

L’herbe frémit, le gravier tiède
Crépite et l’on croirait là-bas
Entendre sur le sable et l’herbe
Colle d’imperceptibles pas.

Le jardin chuchote et tressaille,
Furtif et confidentiel ;
L’averse semble maille à maille
Tisser la terre avec le ciel.

Il pleut, et, les yeux clos, j’écoute,
De toute sa pluie à la fois,
Le jardin mouillé qui s’égoutte
Dans l’ombre que j’ai faite en moi.

Henri de Regnier, le jardin mouillé

Inutile de préciser, cher Gérard, et pourtant je le fais, qu’une recherche plus tard, j’avais remis la main sur le texte, complété mon souvenir... Image marquante, l’averse tisse la terre avec le ciel… Une petite confusion en passant avec Emile Verhaeren (ça se ressemble hein ?), m’a retardé sur la route du poème… Avec le recul, bien des années plus tard, il y a tous ces mots qui sonnent… Finalement, n’aurais-je pas retrouvé ici, rassemblés, ces mots que je goûte tant, que je fréquente tels des amis sûrs ? Frémir, crépiter, imperceptible, chuchoter, tressaillir, furtif, … Insigne ambiance emplie de sensations, de craquements… Et d’incertitude...

Une énième relecture accomplie, comme une révélation… Est-ce vraiment l’automne en ce jardin mouillé ? …

Il est un air de Vivaldi pour qui je donnerais …

 

Avec mes respectueuses salutations, mon très cher ami,

 




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