dimanche 2 février 2025

LIRE


 Il restait à faire paraître les dernières lectures de 2024, les voici. 

Octobre Novembre Décembre 

NB : En italique, extraits de l’éditeur ou 4e de couverture

L’atelier du désordre

Isabelle Dangy

335 p

 

À Barbizon, dans les années 1860, alors que le Second Empire s'achemine sans le savoir vers le désastre, René Dolomieu, un jeune peintre mélancolique remarqué pour quelques portraits sensibles, côtoie les maîtres du paysage et leurs disciples qui arpentent la forêt de Fontainebleau, s'exercent à peindre sur le motif et boivent du vin râpeux à l'auberge Ganne. René n'est ni un séducteur ni un libertin, et pourtant il plaît aux femmes

Le roman nous plonge dans l’histoire de ce peintre, connu pour être le peintre des petits tas, sa marque, son symbole, présent dans tous ses tableaux.

J’ai passé un excellent moment avec ce livre, je connaissais les Nus d’Hersenghem de la même autrice, lu il y a peu et fortement apprécié.

Finement écrit, le roman nous plonge une dizaine d’années dans la fin du Second Empire. De politique il est pourtant fort peu question, et nous suivons le cheminement de ce peintre, rapidement attachant, ses amours, ses amitiés, un peintre « paradoxal » peignant des portraits dans son atelier et ne les montrant pas, n’exposant pas et répondant à quelques commandes au début. S’investissant dans la fabrique de céramique de son beau-père, il devient indispensable. Etonnant que beaucoup de choses lui arrivent sans qu’il l’ait semble-t-il vraiment voulu. 

Une belle galerie de personnages, tous attachants et bien croqués, mieux que des ombres, un contexte historique convaincant, des péripéties et quelques mystères, l’autrice conduit ce bal par petites touches ; comme un bel hommage à la peinture.

Réjouissant.

 

Une seule lettre vous manque

Claro

Numéro 5 Projet Perec 53

 

Et si "La Disparition" était, par un troublant effet miroir, un traité de traduction ? Telle est l’hypothèse émise par Claro dans ce texte où il s’attache à montrer que l’absence et la perte, chez Perec, obligent ce dernier à recourir aux mêmes stratégies de déformation et de contournement auxquelles sont rompus les traducteurs. "Une seule lettre vous manque" questionne le langage, ses limites, son impossibilité à représenter le monde et à dire l’indicible. Pourtant, malgré les doutes, c’est un hymne à l’écriture qui est célébré ici.

 

Claro fait du Claro, toujours malicieux, ironique, ce fut sans surprise et j’ai découvert à la fin qu’il s’agissait d’une transcription d’une conférence qu’il avait donnée.

Les réflexions et points de vue sont fort intéressants.

 

 

Lier les lieux, élargir l’espace, Anne Savelli

Numéro 6 Projet Perec 53

 

 

En explorant les lieux parisiens de ses propres écrits, croisés avec ceux de Georges Perec, Anne Savelli nous invite à la suivre. Avec elle, nous arpentons la rue de l’Atlas, empruntons la ligne 2, franchissons le pont La Fayette, visitons les grands magasins. Tout un parcours urbain, mais aussi une flânerie accompagnée de souvenirs personnels, littéraires et cinématographiques. L’autrice cherche à comprendre les liens tissés entre les espaces et la création ; une quête pour mieux ancrer sa présence au monde à travers l’écriture.

 

Je ne connais pas l’œuvre d’Anne Savelli. Ce numéro déambule pas mal, avec des points d’arrêts, j’ai noté certains passages beaucoup plus émouvants que d’autres, dans un fil parfois un peu ténu, tout au long d’un récit un peu inégal.

 

Terminus provisoire,

Antonin Crenn

Numéro 7 Projet Perec 53

 

 

Antonin Crenn a vécu ses vingt premières années au Pecq, dans les Yvelines. Mais de quelle ville s’agit-il ? interroge son narrateur. Une banlieue qui se cherche entre Paris et Saint-Germain-en-Laye, avec ses histoires de pont effondré et de gare enfouie. Aussi le lieu de l’enfance qui réactive toute la mémoire du jeune homme, l’immeuble au fond de l’impasse, le collège transitoire ou le marchand de bonbons. Terminus provisoire est un récit tendre et nostalgique où la ville, ancrée dans les souvenirs, transforme la vie en devenir.

 

Cet opus est celui que j’ai préféré parmi les trois numérotés de 5 à 7, une très belle plongée dans l’enfance, pleine de sensibilité et vraiment profondément péréquienne. L’ensemble tient debout, porté par ce questionnement personnel en lien avec W ou le souvenir d’enfance. Mission accomplie !

 

Les ondes

Isabelle Dangy

 

Sidonie débarque à Hersanghem, elle cherche à y fuir les vicissitudes sans espoir de la passion qui l’attache au frère d’adoption avec lequel elle a partagé son enfance.

Un autre projet motive ce séjour : elle espère percer un secret de famille, car son père, tôt disparu dans des circonstances tragiques, est originaire d’Hersanghem.

Elle se lance ainsi à la rencontre d’une grand-mère qu’elle n’a jamais connue : Madeleine, propriétaire revêche d’une bâtisse délabrée, dont l’histoire rebelle n’est concédée, voire monnayée, que par fragments… Au cœur de sa maison, un instrument de musique à l’abandon : des Ondes Martenot, voix réduite au silence d’une époque révolue, et témoignage d’un amour ancien qui fut la clé de tout.

 

Isabelle Dangy m’ayant séduit à deux reprises, il en a fallu une troisième, totalement différente mais tout aussi réussie.

La quête des origines, le vrai/le faux ; les secrets de famille, ceci n’est finalement qu’un aspect du roman, riche, foisonnant et plein d’humanité d’Isabelle Dangy.

 

Ravissement

Lucie Kirkwood

Pièce de théâtre   128 p

 

Ravissement de Lucy Kirkwood interroge les faits et les conspirations à l'heure des réseaux sociaux, des fake news et de l'éco-anxiété. Céleste et Noah, deux jeunes Britanniques, se rencontrent lors d'un rendez-vous arrangé et tombent amoureux. Très vite, ils se rendent compte qu'ils sont sous surveillance. Alors qu'ils se filment et diffusent sur YouTube des vidéos politiques pour révéler les mensonges du gouvernement, la paranoïa et l'angoisse s'invitent dans leur quotidien et gangrènent peu à peu leur vie.

Le sujet est actuel, on ressent le mélange et l’ambiguïté entre réel/ virtuel et donc vrai/faux. Il manque toutefois de voir la pièce en vrai car le texte seul s’inscrit dans un dispositif scénique décrit certes dans l’ouvrage mais qui fait défaut ici en lecture seule.

 

Le cercle de la croix

Iain Pears

620 p

 

 

Nous sommes en Angleterre en 1663, Université d'Oxford.

Le professeur Grove est retrouvé mort, assassiné à l'arsenic.

Sarah, sa servante, est accusée du meurtre et exécutée.

Quatre personnages relatent les circonstances et les mobiles de ce crime dont ils ont été les témoins.

Une sombre affaire de meurtre donc, racontée en quatre temps dans le roman, de quatre points de vue différents. Cela donne un récit – parfois long, certes- qui paradoxalement évite bien des redites.

Si vous avez aimé le Nom de la Rose, ce n’est pas si loin.

Prenant, très documenté. Un bon moment.

 

Ce qui n’a pas de prix

Annie Le Brun

176 p

 

C’est la guerre, une guerre qui se déroule sur tous les fronts et qui s’intensifie depuis qu’elle est désormais menée contre tout ce dont il paraissait impossible d’extraire de la valeur. Y aura considérablement aidé la collusion de la finance et d’un certain art contemporain, à l’origine d’une entreprise de neutralisation visant à installer une domination sans réplique. Il est évident que beauté et laideur constituent un enjeu politique. Jusqu’à quand consentirons-nous à ne pas voir combien la violence de l’argent travaille à liquider notre nuit sensible, pour nous faire oublier l’essentiel, la quête éperdue de ce qui n’a pas de prix ?

Un essai qui complète fort bien une série d’interviews d’Annie Le Brun sur le même sujet. La financiarisation totalitaire est l’ennemi !

 

Or

Audur Ava Olafsdottir

236 p

☺☺☺

 

Après avoir appris que sa fille n’est pas sa fille, Jonas Ebeneser rompt avec sa vie, son travail, sa famille, ses amis. Il va voir sa mère une dernière fois, cela ne le retient pas : il a décidé qu’il doit mourir. Il est inutile.  

Alors il part sans prévenir, avec sa caisse à outils, sa perceuse et un vieux fusil, pour l’autre côté de la mer, dans un pays -choisi sur internet ! - dévasté par une guerre qui vient tout juste de s’achever. D’ici huit jours, il en aura fini.

 

Première incursion dans l’œuvre de l’islandaise Audur Ava Ólafsdóttir.

Au moment de relire et terminer ces quelques notes, nous sommes fin janvier, cela fait deux mois que je l’ai lu. C’est comme si j’étais encore dedans et je sais déjà que je vais le relire.

Il y a de temps à autre des lectures comme ça où tout s’arrête, une sorte d’éblouissement, un cœur qui bat.

J’ai été absolument transporté par l’atmosphère infiniment poétique, par la construction par petites touches, par fragments très denses, j’ai été touché de voir comment, dans une situation de départ dramatique, le choix de Jonas d’aller séjourner et d’en finir dans un pays dévasté par la guerre, va peu à peu le changer. A rebours de ce qu’il envisageait.

Cela ne va plus être finir (échouer) mais (re)commencer, en émergeant presque à son insu, en se transformant peu à peu en une sorte de renouveau, comme si un parcours initiatique l’avait saisi à son corps défendant, que le chemin lui montrait la route…

Jonas arrive à l’Hôtel du Silence, nom savoureux, il se donne huit jours avant d’en finir. Quelques gueules (cassées ?) y logent. Du pittoresque. Comme si tout le monde était décalé.

Des péripéties plus ou moins cocasses replongent Jonas dans la vie. Que dans ce champ de ruines, tous soient mus par un désir inextinguible de vivre, quels qu’en soient les moyens pour certains, n’est pas le moindre des paradoxes !  

Surviennent des changements de repères, Jonas se révèle à nous et aux autres, il fait preuve d’un réel sens de l’observation et d’une grande compréhension, sa situation nouvelle le place à l’écoute de celles/ceux qu’il rencontre, il tisse des liens, il se rend utile avec sa fameuse boîte à outils, symbole limpide et transparent de la réparation ou de la reconstruction.

Le temps passe et l’idée initiale de Jonas se brouille, s’étiole. La vie prend ses droits, c’est presque incroyable dans un tel champ de ruines et de mort.

 

Pourtant, rien n’est lourd, ou forcé, tout est suspendu par cet art subtil de dire léger des choses essentielles. Pas de trompettes, pas de tintamarre, pas de surlignage, une grande pudeur.

 

Aux lisières d’un état de grâce.

C’est magnifique.

 

Voyages sans bagages

Tove Jansson

270p

 

 

Recueil de nouvelles (Finlande)

Un homme qui a trop écouté ses semblables décide de les fuir en prenant la mer, un petit garçon moraliste met à l’épreuve sa famille d’accueil sur une île finlandaise, dans une serre deux vieillards se disputent un banc des semaines durant, en Espagne deux expatriées s’affrontent au couteau en plein défilé de carnaval, ou encore une vieille fille emprunte les souvenirs d’une autre.
Tove Jansson m’était inconnue, et je découvre, grâce au Matricule des Anges, une grande dame de la littérature finnoise, autrice surtout connue pour ses oeuvres de littérature de jeunesse.

Ici, des nouvelles extrêmement variées par le sujet et par leur longueur, explorent l’âme humaine, c’est souvent simplement exposé, assez austère, presque bourru, mais cela ne manque pas de malice et porte un regard plein d’humanité sur les personnages.

La première nouvelle « Correspondance » est ma préférée, elle reproduit les lettres (authentiques ? l’ambiguïté en soi est belle) de Tamiko Atsumi, une jeune fan japonaise de l’autrice. L’adolescente écrit à son idole des lettres enthousiastes, pleines d’enthousiasme, on lit et comprend comment la relation se construit au fil du temps, sachant qu’on n’a que les lettres de la jeune japonaise. La rencontre tant souhaitée n’adviendra pas.

C’est à la fois magnifique et déchirant.

 

Les stripteaseuses ont toujours besoin de conseils juridiques

Iain Levison

238 p

 

Une lecture qui s’est révélée purement récréative.

Décrit comme un polar acide, ce roman est surtout ironique te désabusé, trop, au point que j’ai eu du mal à m’attacher à une intrigue lâche, aux ficelles plus que visibles et dont la crédibilité n’est pas le principal atout.

Ayant lu, je me revois poser la question à la libraire au moment d’acquérir l’ouvrage : ce n’est pas un de ces romans dont on pourrait considérer que le titre est -toutes proportions gardées – « la meilleure trouvaille » ?

Je pense avoir ma réponse 😉

 

Le cœur ne cède pas

Grégoire Bouillier

En poche 1280 p

 ☺☺☺

 

Août 1985. A Paris, une femme s'est laissée mourir de faim chez elle pendant quarante-cinq jours en tenant le journal de son agonie. Son cadavre n'a été découvert que dix mois plus tard. A l'époque, Grégoire Bouillier entend ce fait divers à la radio. Et plus jamais ne l'oublie. Or, en 2018, le hasard le met sur la piste de cette femme. Qui était-elle ? Pourquoi avoir écrit son agonie ? Comment un être humain peut-il s'infliger - ou infliger au monde - une telle punition ? Se transformant en détective privé assisté de la fidèle (et joyeuse) Penny, l'auteur se lance alors dans une folle enquête pour reconstituer la vie de cette femme qui fut mannequin dans les années 50 : à partir des archives et de sa généalogie, de son enfance dans le Paris des années 20 à son mariage pendant l'Occupation...
Un grand voyage dans le temps et l'espace. Sont même convoqués le cinéma et les sciences occultes, afin d'élucider ce fait divers. 
 

Mon dernier de l’année.

Marquant. Phénoménal.

Un tour de force. Jouant sur tous les tons et les registres, l’auteur m’a embarqué sans restriction dans cette œuvre fleuve protéiforme que j’ai dévorée et énormément appréciée.

Menant une enquête vertigineuse, excellent raconteur d’histoires, il a su tisser et élargir le cas étudié, en reliant le personnel et l’universel. Touché !

Imagination, passion, originalité, il parvient par ce prisme – pas de hasard – à se retrouver aussi lui-même.

Le prochain m’attend déjà. 

= 84  

 


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