Il restait à faire paraître les dernières lectures de 2024, les voici.
Octobre Novembre
Décembre NB : En
italique, extraits de l’éditeur ou 4e de couverture L’atelier du désordre Isabelle Dangy 335 p ☺ À Barbizon, dans les années 1860, alors que
le Second Empire s'achemine sans le savoir vers le désastre, René Dolomieu,
un jeune peintre mélancolique remarqué pour quelques portraits sensibles,
côtoie les maîtres du paysage et leurs disciples qui arpentent la forêt de
Fontainebleau, s'exercent à peindre sur le motif et boivent du vin râpeux à
l'auberge Ganne. René n'est ni un séducteur ni un libertin, et pourtant il
plaît aux femmes Le roman nous plonge dans l’histoire de ce
peintre, connu pour être le peintre des petits tas, sa marque, son symbole,
présent dans tous ses tableaux. J’ai passé un excellent moment avec ce
livre, je connaissais les Nus d’Hersenghem de la même autrice, lu il y a peu
et fortement apprécié. Finement écrit, le roman nous plonge une
dizaine d’années dans la fin du Second Empire. De politique il est pourtant
fort peu question, et nous suivons le cheminement de ce peintre, rapidement
attachant, ses amours, ses amitiés, un peintre « paradoxal »
peignant des portraits dans son atelier et ne les montrant pas, n’exposant
pas et répondant à quelques commandes au début. S’investissant dans la
fabrique de céramique de son beau-père, il devient indispensable. Etonnant
que beaucoup de choses lui arrivent sans qu’il l’ait semble-t-il vraiment
voulu. Une belle galerie de personnages, tous
attachants et bien croqués, mieux que des ombres, un contexte historique
convaincant, des péripéties et quelques mystères, l’autrice conduit ce bal
par petites touches ; comme un bel hommage à la peinture. Réjouissant. Une seule lettre vous manque Claro Numéro 5 Projet Perec 53 Et si "La Disparition" était, par
un troublant effet miroir, un traité de traduction ? Telle est l’hypothèse
émise par Claro dans ce texte où il s’attache à montrer que l’absence et la
perte, chez Perec, obligent ce dernier à recourir aux mêmes stratégies de
déformation et de contournement auxquelles sont rompus les traducteurs.
"Une seule lettre vous manque" questionne le langage, ses limites,
son impossibilité à représenter le monde et à dire l’indicible. Pourtant,
malgré les doutes, c’est un hymne à l’écriture qui est célébré ici. Claro fait du Claro, toujours malicieux,
ironique, ce fut sans surprise et j’ai découvert à la fin qu’il s’agissait
d’une transcription d’une conférence qu’il avait donnée. Les réflexions et points de vue sont fort
intéressants. Lier les lieux, élargir l’espace, Anne
Savelli Numéro 6 Projet Perec 53 En explorant les lieux parisiens de ses
propres écrits, croisés avec ceux de Georges Perec, Anne Savelli nous invite
à la suivre. Avec elle, nous arpentons la rue de l’Atlas, empruntons la
ligne 2, franchissons le pont La Fayette, visitons les grands magasins. Tout
un parcours urbain, mais aussi une flânerie accompagnée de souvenirs
personnels, littéraires et cinématographiques. L’autrice cherche à
comprendre les liens tissés entre les espaces et la création ; une quête pour
mieux ancrer sa présence au monde à travers l’écriture. Je ne connais pas l’œuvre d’Anne Savelli.
Ce numéro déambule pas mal, avec des points d’arrêts, j’ai noté certains
passages beaucoup plus émouvants que d’autres, dans un fil parfois un peu
ténu, tout au long d’un récit un peu inégal. Terminus provisoire, Antonin Crenn Numéro 7 Projet Perec 53 ☺ Antonin Crenn a vécu ses vingt premières
années au Pecq, dans les Yvelines. Mais de quelle ville s’agit-il ? interroge
son narrateur. Une banlieue qui se cherche entre Paris et
Saint-Germain-en-Laye, avec ses histoires de pont effondré et de gare
enfouie. Aussi le lieu de l’enfance qui réactive toute la mémoire du jeune
homme, l’immeuble au fond de l’impasse, le collège transitoire ou le marchand
de bonbons. Terminus provisoire est un récit tendre et nostalgique où la
ville, ancrée dans les souvenirs, transforme la vie en devenir. Cet opus est celui que j’ai préféré parmi
les trois numérotés de 5 à 7, une très belle plongée dans l’enfance, pleine
de sensibilité et vraiment profondément péréquienne. L’ensemble tient debout,
porté par ce questionnement personnel en lien avec W ou le souvenir
d’enfance. Mission accomplie ! Les ondes Isabelle Dangy Sidonie débarque à Hersanghem, elle cherche
à y fuir les vicissitudes sans espoir de la passion qui l’attache au frère
d’adoption avec lequel elle a partagé son enfance. Un autre projet motive ce séjour : elle
espère percer un secret de famille, car son père, tôt disparu dans des
circonstances tragiques, est originaire d’Hersanghem. Elle se lance ainsi à la rencontre d’une
grand-mère qu’elle n’a jamais connue : Madeleine, propriétaire revêche d’une
bâtisse délabrée, dont l’histoire rebelle n’est concédée, voire monnayée, que
par fragments… Au cœur de sa maison, un instrument de musique à l’abandon :
des Ondes Martenot, voix réduite au silence d’une époque révolue, et
témoignage d’un amour ancien qui fut la clé de tout. Isabelle Dangy m’ayant séduit à deux
reprises, il en a fallu une troisième, totalement différente mais tout aussi
réussie. La quête des origines, le vrai/le faux ;
les secrets de famille, ceci n’est finalement qu’un aspect du roman, riche, foisonnant
et plein d’humanité d’Isabelle Dangy. Ravissement Lucie Kirkwood Pièce de théâtre 128 p Ravissement de Lucy Kirkwood interroge les
faits et les conspirations à l'heure des réseaux sociaux, des fake news et de
l'éco-anxiété. Céleste et Noah, deux jeunes Britanniques, se rencontrent lors
d'un rendez-vous arrangé et tombent amoureux. Très vite, ils se rendent
compte qu'ils sont sous surveillance. Alors qu'ils se filment et diffusent
sur YouTube des vidéos politiques pour révéler les mensonges du gouvernement,
la paranoïa et l'angoisse s'invitent dans leur quotidien et gangrènent peu à
peu leur vie. Le sujet est actuel, on ressent le mélange
et l’ambiguïté entre réel/ virtuel et donc vrai/faux. Il manque toutefois de
voir la pièce en vrai car le texte seul s’inscrit dans un dispositif scénique
décrit certes dans l’ouvrage mais qui fait défaut ici en lecture seule. Le cercle de la croix Iain Pears 620 p Nous sommes en Angleterre en 1663, Université
d'Oxford. Le professeur Grove est retrouvé mort,
assassiné à l'arsenic. Sarah, sa servante, est accusée du meurtre
et exécutée. Quatre personnages relatent les
circonstances et les mobiles de ce crime dont ils ont été les témoins. Une sombre affaire de meurtre donc,
racontée en quatre temps dans le roman, de quatre points de vue différents. Cela
donne un récit – parfois long, certes- qui paradoxalement évite bien des redites.
Si vous avez aimé le Nom de la Rose, ce n’est
pas si loin. Prenant, très documenté. Un bon moment. Ce qui n’a pas de prix Annie Le Brun 176 p C’est la guerre, une guerre qui se déroule
sur tous les fronts et qui s’intensifie depuis qu’elle est désormais menée
contre tout ce dont il paraissait impossible d’extraire de la valeur. Y aura
considérablement aidé la collusion de la finance et d’un certain art
contemporain, à l’origine d’une entreprise de neutralisation visant à
installer une domination sans réplique. Il est évident que beauté et laideur
constituent un enjeu politique. Jusqu’à quand consentirons-nous à ne pas voir
combien la violence de l’argent travaille à liquider notre nuit sensible,
pour nous faire oublier l’essentiel, la quête éperdue de ce qui n’a pas de
prix
? Un essai qui complète fort bien une série
d’interviews d’Annie Le Brun sur le même sujet. La financiarisation
totalitaire est l’ennemi ! Or Audur Ava Olafsdottir 236 p ☺☺☺ Après avoir appris que sa fille n’est pas
sa fille, Jonas Ebeneser rompt avec sa vie, son travail, sa famille, ses
amis. Il va voir sa mère une dernière fois, cela ne le retient pas : il a
décidé qu’il doit mourir. Il est inutile. Alors il part sans prévenir, avec sa caisse
à outils, sa perceuse et un vieux fusil, pour l’autre côté de la mer, dans un
pays -choisi sur internet ! - dévasté par une guerre qui vient tout juste de
s’achever. D’ici huit jours, il en aura fini. Première incursion dans l’œuvre de
l’islandaise Audur Ava Ólafsdóttir. Au moment de relire et terminer ces
quelques notes, nous sommes fin janvier, cela fait deux mois que je l’ai lu. C’est
comme si j’étais encore dedans et je sais déjà que je vais le relire. Il y a de temps à autre des lectures comme
ça où tout s’arrête, une sorte d’éblouissement, un cœur qui bat. J’ai été absolument transporté par
l’atmosphère infiniment poétique, par la construction par petites touches,
par fragments très denses, j’ai été touché de voir comment, dans une
situation de départ dramatique, le choix de Jonas d’aller séjourner et d’en
finir dans un pays dévasté par la guerre, va peu à peu le changer. A rebours
de ce qu’il envisageait. Cela ne va plus être finir (échouer) mais (re)commencer,
en émergeant presque à son insu, en se transformant peu à peu en une sorte de
renouveau, comme si un parcours initiatique l’avait saisi à son corps
défendant, que le chemin lui montrait la route… Jonas arrive à l’Hôtel du Silence, nom
savoureux, il se donne huit jours avant d’en finir. Quelques gueules (cassées ?)
y logent. Du pittoresque. Comme si tout le monde était décalé. Des péripéties plus ou moins cocasses
replongent Jonas dans la vie. Que dans ce champ de ruines, tous soient mus
par un désir inextinguible de vivre, quels qu’en soient les moyens pour
certains, n’est pas le moindre des paradoxes ! Surviennent des changements de repères,
Jonas se révèle à nous et aux autres, il fait preuve d’un réel sens de
l’observation et d’une grande compréhension, sa situation nouvelle le place à
l’écoute de celles/ceux qu’il rencontre, il tisse des liens, il se rend utile
avec sa fameuse boîte à outils, symbole limpide et transparent de la
réparation ou de la reconstruction. Le temps passe et l’idée initiale de Jonas
se brouille, s’étiole. La vie prend ses droits, c’est presque incroyable dans
un tel champ de ruines et de mort. Pourtant, rien n’est lourd, ou forcé, tout
est suspendu par cet art subtil de dire léger des choses essentielles. Pas de
trompettes, pas de tintamarre, pas de surlignage, une grande pudeur. Aux lisières d’un état de grâce. C’est magnifique. Voyages sans bagages Tove Jansson 270p ☺ Recueil de nouvelles (Finlande) Un homme qui a trop écouté ses semblables
décide de les fuir en prenant la mer, un petit garçon moraliste met à
l’épreuve sa famille d’accueil sur une île finlandaise, dans une serre deux
vieillards se disputent un banc des semaines durant, en Espagne deux
expatriées s’affrontent au couteau en plein défilé de carnaval, ou encore une
vieille fille emprunte les souvenirs d’une autre. Ici, des nouvelles extrêmement variées par
le sujet et par leur longueur, explorent l’âme humaine, c’est souvent
simplement exposé, assez austère, presque bourru, mais cela ne manque pas de
malice et porte un regard plein d’humanité sur les personnages. La première nouvelle
« Correspondance » est ma préférée, elle reproduit les lettres
(authentiques ? l’ambiguïté en soi est belle) de Tamiko Atsumi, une
jeune fan japonaise de l’autrice. L’adolescente écrit à son idole des lettres
enthousiastes, pleines d’enthousiasme, on lit et comprend comment la relation
se construit au fil du temps, sachant qu’on n’a que les lettres de la jeune
japonaise. La rencontre tant souhaitée n’adviendra pas. C’est à la fois magnifique et déchirant. Les stripteaseuses ont toujours besoin de
conseils juridiques Iain Levison 238 p Une lecture qui s’est révélée purement
récréative. Décrit comme un polar acide, ce roman est
surtout ironique te désabusé, trop, au point que j’ai eu du mal à m’attacher
à une intrigue lâche, aux ficelles plus que visibles et dont la crédibilité
n’est pas le principal atout. Ayant lu, je me revois poser la question à
la libraire au moment d’acquérir l’ouvrage : ce n’est pas un de ces
romans dont on pourrait considérer que le titre est -toutes proportions
gardées – « la meilleure trouvaille » ? Je pense avoir ma réponse 😉 Le cœur ne cède pas Grégoire Bouillier En poche 1280 p ☺☺☺ Août 1985. A Paris, une femme s'est laissée
mourir de faim chez elle pendant quarante-cinq jours en tenant le journal de son
agonie. Son cadavre n'a été découvert que dix mois plus tard. A l'époque,
Grégoire Bouillier entend ce fait divers à la radio. Et plus jamais ne
l'oublie. Or, en 2018, le hasard le met sur la piste de cette femme. Qui
était-elle ? Pourquoi avoir écrit son agonie ? Comment un être humain peut-il
s'infliger - ou infliger au monde - une telle punition ? Se transformant en
détective privé assisté de la fidèle (et joyeuse) Penny, l'auteur se lance
alors dans une folle enquête pour reconstituer la vie de cette femme qui fut
mannequin dans les années 50 : à partir des archives et de sa généalogie, de
son enfance dans le Paris des années 20 à son mariage pendant l'Occupation... Mon dernier de l’année. Marquant. Phénoménal. Un tour de force. Jouant sur tous les tons
et les registres, l’auteur m’a embarqué sans restriction dans cette œuvre
fleuve protéiforme que j’ai dévorée et énormément appréciée. Menant une enquête vertigineuse, excellent
raconteur d’histoires, il a su tisser et élargir le cas étudié, en reliant le
personnel et l’universel. Touché ! Imagination, passion, originalité, il
parvient par ce prisme – pas de hasard – à se retrouver aussi lui-même. Le prochain m’attend déjà. = 84
Tove
Jansson m’était inconnue, et je découvre, grâce au Matricule des Anges,
une grande dame de la littérature finnoise, autrice surtout connue pour ses
oeuvres de littérature de jeunesse.
Un grand voyage dans le temps et l'espace. Sont même convoqués le cinéma et
les sciences occultes, afin d'élucider ce fait divers.
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